lundi 7 septembre 2009

Kino-Pravda Hebdomadaire numéro 39

Comme promis, voici l'un des articles publié dans le Kino-Pravda en 2001 dont j'avais parlé dans le message précédent. D'autres vont suivre prochainement...


Bigre ! Serait-ce vraiment l'été ? Depuis le début du mois de juillet, plus de quinze disciplines sportives ont été encapsulées par la télé. C’est insensé. Votre très dévouée n’a même pas eu le temps de célébrer sa première effusion dans ce journal, que déjà, elle n'arrive plus à suivre. La rédaction en chef lui tient les pouces (merci, la rédaction en chef), mais ce n’est pas gagné, surtout depuis qu'une rumeur la dit atteinte d'un virus de flémingite aiguë des plus sournois. Et le fait qu'elle aime le sport à la télé n'arrange rien, parce qu’aimer le sport à la télé signifie qu'une retransmission sur deux, elle est forcée de se mettre un moment au lit pour récupérer, et c’est pour cela qu’elle a ressorti, un article en plan de ses fonds de tiroir du mois de mai et qu'elle n’a pu s’enquérir sur le duel Ullrich-Amstrong dans la 13ème étape du TdF. Si vous vous demandez pourquoi diable on irait de toute façon se frotter à du vélocipède en ces temps de désillusion générale, c'est que vous n’avez pas vu le sujet concocté par France 2 sur Verdun (ville qui accueillait une étape du Tour) et la triste guerre qui l’a rendue célèbre. Un vrai régal, vous dis-je, qui lorgnait esthétiquement sur le Zérorama de Karl Zéro, avec de la reconstitution, des costumes d’époque, des acteurs, de la fausse pellicule noire et blanc rayée, tout ça, qui évidemment ne racontait rien de ce qu'il était censé raconter mais qui en disait long, ce jour-là, sur la volonté de la chaine de redorer en douce le blason héroïque du cyclisme. Allez, on ne va pas tout de suite commencer à se fâcher avec France 2, alors vite, en piste, moto, moto, moto... !


CIAO TUTTI !


Quand la télé devient une cage douillette pour égotistes consentants, faut-il seulement en sortir ? L'espace de son énième conférence de presse de la saison, Valentino Rossi fait un nouveau tour du propriétaire.



La course de moto de la catégorie 500cc venait de se terminer et on en voulait même plus à Eurosport d'avoir mis autant de bâtons publicitaires dans les roues des téléspectateurs, puisqu’au fond on n’attendait qu'une chose: la retransmission de la conférence de presse, ce petit temps d’antenne supplémentaire où sont invités à s'exprimer les vainqueurs.

On ne se réjouissait pas pour n'importe quelle conférence de presse, cet après-midi-là. On se réjouissait parce qu'il y avait une conférence de presse de Valentino Rossi, parce que celle-ci succédait si vite à une autre, et, parce qu’elle annonçait, déjà, la prochaine. C'est le plaisir, bien moins fréquent qu'il n’y parait, de la série. Et quand nombre de chaines se perdent à rechercher leurs créneaux et à vouloir fidéliser à tout prix, un sportif qui, non seulement à la gagne, mais parvient à réinventer chacune de ses apparitions comme s'il s'agissait d’un événement en soi, est nécessairement précieux.

Son créneau, sa façon bien à lui de fidéliser, Valentino Rossi l’exploite (ses fans comme ses détracteurs en savent quelque chose de ses extravagances) depuis longtemps et il suffit de suivre quelques Grands Prix cette saison pour se convaincre que le contrat tacite qui le lie à la télévision, c'est de la rigolade des plus sérieuses. Dès son arrivée en compétition, Valentino Rossi s'est d'abord rapidement fixé des principes de fer : quel que soit le moment de direct où une camera fait son intrusion, il faut se montrer souriant, prêt au clin d'œil complice, et aller au devant de la tâche, se rendre toujours disponible. Puis, fort de ses succès en course, il a graduellement déblayé une scène pour y laisser apparaitre des personnages tantôt incarnés par lui (Superman, Robin des Bois, Docteur) tantôt centrés sur lui (les membres fan-club de Tavullia le suivent aux quatre coins du monde, ceux-là même que l’on aperçoit parfois prosternés devant les podiums à scander leur ritalrie et le nom de leur dieu rossien). Il a littéralement balisé son territoire audiovisuel, mieux qu’aucun autre pilote de sa catégorie, et ce qui étonne, c'est que son auto-surenchère devance encore nettement aujourd’hui celle de la télé, qui pourtant n'est jamais en reste pour promouvoir ses vedettes. Une question légitime titille à ce stade. Valentino Rossi, est-il un égotiste ? Oui, mais nuance. Quelqu’un qui d'instinct sait profiter des bons comme des déloyaux services d'un medium pour mener en solitaire une drôle de petite entreprise personnelle.



Mais comment était à première vue, le dernier épisode « Valentino en conférence de presse » ? A la fois identique et sensiblement différent du précédent. On avait appris à déceler la moindre variation d’humeur du personnage et on remarquait quelques changements dans le décor. De nouveaux sponsors, un angle de prise de vue moins frontal, des favoris négligés et une mine bronzée ramenée tout juste, signala-t-on, de vacances bien méritées aux Seychelles ; des détails qui racontaient que l'ensemble se peaufinerait encore avec le temps. D'un autre côté, elle parut identique à la précédente et on ne se trompait pas. L’avantage de la série est qu'il nous libère du fardeau de juger un épisode comme s'il était le dernier. Valentino Rossi est indiscutablement de l’étoffe des grands champions. Il a le moral, le vent en poupe. Il est le favori pour remporter le titre mondial cette année en 500cc et parce qu’il bénéficie, on l’a dit, du soutien médiatique télé, il ne rate pratiquement plus aucune de ses apparitions. Son système est trop bien pensé. Voila pourquoi, chacune de ses conférence de presse n'est pas seulement un rendez-vous mais aussi, on l'aura compris, un véritable rituel dans le rituel. Une sorte de vérification du système, une séance d’entretien au sens propre comme au figuré.



Ce dimanche de mai, sur le circuit de Jerez en Espagne, on était un peu à la traine du côté de chez Europort, qui avait du mal à se dépatouiller avec le zoom et la mise au point de sa caméra pour transiter d’un interviewé à l'autre dans la cabine de presse. Ce n’était pas encore le tour de Rossi de s’exprimer, mais on l’avait déjà remarqué. Forcément. Le jaune, qu’il arbore très souvent, est une couleur criarde. Et nul besoin en effet d’être scientifique ou expert en signalétique publicitaire pour comprendre qu’elle est la plus rapidement perceptible par l’œil dans la gamme de spectres des couleurs. Mais il n’y avait pas que le jaune qui attirait le regard. Il y avait les gestes aussi. Rossi remuait parce qu'il était mal assis, donnait des coups de coude contre un micro mal éteint parce qu'il s'essuyait avec son linge. Rossi par ci, Rossi par là, d’emblée plus visible et audible que ses voisins de table, Norifumi « Norick » Abe et Alex Criville. Sur le coup, on se demanda s'il ne méritait pas là une réprimande. Que non ! Le bougre sait sans doute qu’il peut compter sur sa bouille angélique d’enfant distrait.

Aussi, lorsque vint enfin son tour de parole, il fit mine de se pencher en demandant si le volume sonore de son micro était suffisant, si ce qu’il disait « si senta ». Commença alors la ronde des questions d’après-course dont la prévisibilité ne le fit même pas broncher et auquel il se plia d’abord dans un anglais espéranto à la limite de la décence avant de passer à la v.o. italienne. N’importe qui aurait crier au scandale. Sauf nous, ces adorateurs.

Mais pourquoi donc est-ce que le rituel avait l'air de si bien fonctionner ? Parce que le pilote, tout comme les équipes de la Dorna et d'Eurosport auxquelles il fait face régulièrement, jouait le jeu. Il le jouait à la perfection, car semi-candide, semi-coquet, il faisait comme si il ne voulait pas du rôle de maître incontesté où on tient à le mettre aujourd'hui, dans la mesure où si il le prenait, il lui faudrait répondre de tout et il serait mis en péril. Rossi, parce qu'il parla de ses limites (« Aï von diz reïz, bet no, aï’m not on’bitebel »), de ses servitudes de cobaye (« Aï stil hav ouerk tou dou wiz de tim »), parce qu’il mettait, tout le monde dans un examen de conscience obligatoire, troqua subrepticement son rôle de guru contre celui de modeste sportif.

L'entretien tirait à sa fin et comme tout était irréprochable dans la mise en scène, on oublia de se demander où allait l’ensemble. Et c’était là le piège. Les conférences de presse n’ont pas vraiment d’autre fonction que de nous laisser nous rincer les yeux, et par la même, aux sponsors omniprésents à l’image, de profiter de nous faire un dernier coucou. Valentino Rossi, qui connait deux ou trois choses sur les risques de son autre métier de vedette, n’attendit pas que le piège se referme. En se levant brusquement, il interrompit ce théâtre un tantinet outrancier, en lâchant un petit « ciao » incisif avant même que ne fuse une nouvelle question. Il rappelait ainsi in extremis que cette expérience brève mais follement narcissique de la conférence de presse n’était qu'un jeu et que le désir de son petit monde de le voir et de l'entendre, n'aurait peut-être aucune raison d’être en dehors de ce cadre. Aussi efficace sur les pistes qu’en présence des médias, Rossi conserve une bonne longueur d’avance sur ses contemporains. Voilà pourquoi dans deux semaines, un mois, le cirque va recommencer, quasi inchangé, avec son auditoire trop fasciné et son jeune champion trop à l’aise devant les caméras, et à qui on aurait accordé le droit de se rêver à voix et tête haute devant un miroir sans tain.


6 mai 2001
Moto GP 500cc
Grand Prix d’Espagne, Jerez
Eurosport

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